dimanche 26 mars 2017

Gabacho de Aura Xilonen

                Gabacho, roman publié chez Liana Levi, porte ce bandeau publicitaire : « Un clandestin à la conquête des States ». Ne vous y fiez pas, ce roman est bien plus que ça.



                Liborio, le personnage principal ne possède pas de nom : il s’appelle « le merdeux », « le pue du bec », « le morpion », ou autres surnoms fleuris que lui balance le Boss, son patron qui l’emploie au black. Nous n’apprendrons son nom que bien plus tard, au détour d’une rue, d’une bagarre, d’une rencontre. Et puis, petit à petit, le jeune homme va acquérir une véritable identité, et avec elle il retrouvera le plaisir d’entendre son nom.

                Le roman nous murmure beaucoup avec la simplicité des histoires de quartier. Liborio est un jeune clandestin mexicain, élevé par la rue, qui comme tant d’autres, espère trouver une vie meilleure en passant la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Sur cette traversée, on ne saura que peu de choses. Liborio ne relève que des bribes, quelques souvenirs lâchés par la mémoire. Cette douloureuse traversée n’est néanmoins pas l’essentiel du roman.

                Liborio a hérité du héros picaresque espagnol du XVIe siècle. Ce picaro des temps modernes, orphelin, enfant des rues, a appris la vie avec ses poings. Et grâce à eux, il se hissera de son statut d’esclave clandestin jusqu’à son engagement dans un orphelinat. Cependant, cet antihéros porte en lui une candeur qui fait de ce jeune vagabond un personnage profondément bon et attachant. Gabacho est donc un roman d’apprentissage à la dure, où les poings peuvent sauver.

                Aura Xilonen dessine une galerie de personnages haute en couleurs qui tous montre cette partie de l’humanité qui se bat pour la survie de ceux qui les entourent : Aireen qui prend soin de son grand-père en cumulant les petits boulots, Naomi la jeune orpheline qui souhaite devenir avocate pour aider les plus déshérités, ou le personnel de la maison d’enfants qui recueille Liborio.

La Littérature comme apprentissage


                Enfin, je traiterai d’un dernier aspect de ce livre : celui du livre et de la littérature. En effet, le thème de la littérature traverse tout le roman. Celui-ci commence dans une librairie où travaille clandestinement notre héros. Et ce commencement romanesque, au milieu des livres, n’est pas anodin. La nouvelle existence de Liborio commence à partir de son intérêt pour les livres qui l’entourent. Il fera son apprentissage grâce à la lecture des romans hispaniques qui peuplent les étagères, qu’il lit en secret, bien qu’il en rejette la superficialité. Constamment, il fera appel à ces lectures, en comparant sa propre existence à celle des personnages. On voit en filigrane se dessiner une critique de la littérature qui se détache de l’existence :

« C’est sur cette table que débarquaient les derniers-nés des maisons d’éditions transatlantiques, chiantes à mourir à force de rendre tous les verbes impraticables avec leur « eusse », « visse », « pûtes » et autres stupides précieuseries du même genre ; un langage pour se torcher le cul avec les mots aussi neutres que « pneumatiques » au lieu de « roue », ou bien « habitation », des mots chiants, formels, sans humour, word world wlobalisés. » (p.62).

                Eh bien, Gabacho n’est pas un roman comme ceux-là. La langue est crue, impropre, elle claque et se distord, elle dit le brut, elle dit comme ça vient. Et c’est jouissif ! Plus qu’inventive, elle est créatrice, elle crée de nouveau mots, de nouvelles phrases, et avec eux de nouveaux liens, réseaux langagiers autant que de nouvelles manières de penser. Il faut abattre les murs qu’ils soient territoriaux ou langagiers. Je salue particulièrement le travail de la traductrice qui a merveilleusement su recréé cette créativité et l’oralité de la langue d’Aura Xilonen.


                Enfin, je finirai sur le personnage du libraire latino, le Boss, esclavagiste mais qui, je pense, derrière son cynisme et sa méchanceté cache un véritable intérêt pour Liborio. Et surtout, que de rire pour la libraire que je suis quand je lis certaines critiques de la consommation éditoriale :

« - Il aime plus les romans le narcos ?
- Ben, cette fois-ci il voulait pas un truc mexicain.
- Le drôle d’oiseau dantesque change de goûts comme de chaussettes. Tu vas voir dans quelques temps il va aimer Coelho. Aïe, aïe, aïe.
- Eh quoi, c’est nul, Boss ?
- Ah, mon sagouin, si tu savais ! ça m’étonnerait franchement pas que ça lui plaise à ce drôle d’oiseau, avec toute cette merde qu’il s’envoie dans les yeux.
- Mais c’est ce qui se vend le plus, Boss.
- Et alors ? On ne peut pas vivre sans chiottes parce qu’on va tous chier au moins une fois par jour, mais ce n’est pas pour autant qu’on les met sur un piédestal au milieu du salon, ni qu’on se prosterne devant, non ? » (p. 165)


(Je précise que je n’ai rien contre Paolo Coelho, mais son nom peut être remplacé par d’autres et surtout le soutien la critique du star system littéraire qui devient de plus en plus dévorant.) 

Une auteure à suivre...


Gabacho, Aura Xilonen, Liana Levi
trad. Julia Chardavoine.

Sélection du message

Bienvenue !

Bienvenue sur Le Livre-Métamorphose !  Chaque lecture nous métamorphose. Volonté de toujours aller plus loin vers l'autre, d'ex...