Gabacho, roman publié chez Liana Levi,
porte ce bandeau publicitaire : « Un clandestin à la conquête des
States ». Ne vous y fiez pas, ce roman est bien plus que ça.
Liborio,
le personnage principal ne possède pas de nom : il s’appelle « le
merdeux », « le pue du bec », « le morpion », ou
autres surnoms fleuris que lui balance le Boss, son patron qui l’emploie au
black. Nous n’apprendrons son nom que bien plus tard, au détour d’une rue,
d’une bagarre, d’une rencontre. Et puis, petit à petit, le jeune homme va
acquérir une véritable identité, et avec elle il retrouvera le plaisir
d’entendre son nom.
Le
roman nous murmure beaucoup avec la simplicité des histoires de quartier. Liborio
est un jeune clandestin mexicain, élevé par la rue, qui comme tant d’autres,
espère trouver une vie meilleure en passant la frontière entre le Mexique et
les Etats-Unis. Sur cette traversée, on ne saura que peu de choses. Liborio ne
relève que des bribes, quelques souvenirs lâchés par la mémoire. Cette
douloureuse traversée n’est néanmoins pas l’essentiel du roman.
Liborio
a hérité du héros picaresque espagnol du XVIe siècle. Ce picaro des temps
modernes, orphelin, enfant des rues, a appris la vie avec ses poings. Et grâce
à eux, il se hissera de son statut d’esclave clandestin jusqu’à son engagement
dans un orphelinat. Cependant, cet antihéros porte en lui une candeur qui fait
de ce jeune vagabond un personnage profondément bon et attachant. Gabacho est donc un roman
d’apprentissage à la dure, où les poings peuvent sauver.
Aura
Xilonen dessine une galerie de personnages haute en couleurs qui tous montre
cette partie de l’humanité qui se bat pour la survie de ceux qui les entourent :
Aireen qui prend soin de son grand-père en cumulant les petits boulots, Naomi
la jeune orpheline qui souhaite devenir avocate pour aider les plus déshérités,
ou le personnel de la maison d’enfants qui recueille Liborio.
La Littérature comme apprentissage
Enfin,
je traiterai d’un dernier aspect de ce livre : celui du livre et de la
littérature. En effet, le thème de la littérature traverse tout le roman.
Celui-ci commence dans une librairie où travaille clandestinement notre héros.
Et ce commencement romanesque, au milieu des livres, n’est pas anodin. La
nouvelle existence de Liborio commence à partir de son intérêt pour les livres
qui l’entourent. Il fera son apprentissage grâce à la lecture des romans
hispaniques qui peuplent les étagères, qu’il lit en secret, bien qu’il en
rejette la superficialité. Constamment, il fera appel à ces lectures, en
comparant sa propre existence à celle des personnages. On voit en filigrane se
dessiner une critique de la littérature qui se détache de l’existence :
« C’est sur cette table que
débarquaient les derniers-nés des maisons d’éditions transatlantiques, chiantes
à mourir à force de rendre tous les verbes impraticables avec leur « eusse »,
« visse », « pûtes » et autres stupides précieuseries du
même genre ; un langage pour se torcher le cul avec les mots aussi neutres
que « pneumatiques » au lieu de « roue », ou bien « habitation »,
des mots chiants, formels, sans humour, word world wlobalisés. » (p.62).
Eh
bien, Gabacho n’est pas un roman
comme ceux-là. La langue est crue, impropre, elle claque et se distord, elle
dit le brut, elle dit comme ça vient. Et c’est jouissif ! Plus qu’inventive,
elle est créatrice, elle crée de nouveau mots, de nouvelles phrases, et avec
eux de nouveaux liens, réseaux langagiers autant que de nouvelles manières de
penser. Il faut abattre les murs qu’ils soient territoriaux ou langagiers. Je
salue particulièrement le travail de la traductrice qui a merveilleusement su
recréé cette créativité et l’oralité de la langue d’Aura Xilonen.
Enfin,
je finirai sur le personnage du libraire latino, le Boss, esclavagiste mais
qui, je pense, derrière son cynisme et sa méchanceté cache un véritable intérêt
pour Liborio. Et surtout, que de rire pour la libraire que je suis quand je lis certaines
critiques de la consommation éditoriale :
« - Il aime plus les romans
le narcos ?
- Ben, cette fois-ci il voulait
pas un truc mexicain.
- Le drôle d’oiseau dantesque
change de goûts comme de chaussettes. Tu vas voir dans quelques temps il va
aimer Coelho. Aïe, aïe, aïe.
- Eh quoi, c’est nul, Boss ?
- Ah, mon sagouin, si tu savais !
ça m’étonnerait franchement pas
que ça lui plaise à ce drôle d’oiseau, avec toute cette merde qu’il s’envoie
dans les yeux.
- Mais c’est ce qui se vend le
plus, Boss.
- Et alors ? On ne peut pas
vivre sans chiottes parce qu’on va tous chier au moins une fois par jour, mais
ce n’est pas pour autant qu’on les met sur un piédestal au milieu du salon, ni
qu’on se prosterne devant, non ? » (p. 165)
(Je précise que je n’ai rien
contre Paolo Coelho, mais son nom peut être remplacé par d’autres et surtout le
soutien la critique du star system littéraire qui devient de plus en plus dévorant.)
Une auteure à suivre...
Gabacho, Aura Xilonen, Liana Levi
trad. Julia Chardavoine.