Ce roman raconte l’histoire de deux adolescentes qui grandissent dans un monde qui se délite. Elles apprennent à survivre dans la forêt, loin de la ville, après ce qui semble avoir été un cataclysme naturel.
Le coup de force de ce roman n’est pas de nous plonger dans un univers complètement fictionnel, bien au contraire. Nous nous identifions sans mal aux deux jeunes femmes. Pour qui s’intéresse à l’écologie, nous sommes déjà sur le chemin des privations. Cependant, ce roman ne nous offre pas un regard pessimiste sur cette décadence du monde contemporain. Au contraire, il montre une réappropriation d’une nature humaine, des instincts perdus de survie. Nell et Eva se lieront à la nature et expérimenteront ce lien, devenu cordon ombilical.
Au-delà de la question de la survie, l’auteure illustre avec bienveillance et tendresse l’adolescence et l’amour filial. Les deux sœurs doivent compter l’une sur l’autre, dans les moments les plus durs de la survie : le rationnement, le désespoir, les blessures infligés par les autres hommes. Car le plus grand péril ne viendra pas de la décadence du monde, de l’appauvrissement des ressources. La survie ne consiste pas à se rationner, mais à affronter les hommes et leur pouvoir outrecuidant :
« La forêt a tué notre père, et de cette forêt viendra l’homme – ou les hommes qui nous tueront. »
De la violence des hommes, naîtra un enfant. Alors, la narratrice devra porter à bout de bras une nouvelle famille, née de la nature dans sa bonté et sa bestialité.
« Je savais qu’Eva portait une fille et je commençais même à éprouver malgré moi de l’affection pour cette petite fille qui allait tellement compliquer notre existence. Je me disais qu’elle serait un mélange de ma sœur, de ma mère et de moi-même. […] il me semblait voir des générations de femmes disparaître derrière nous et d’autres avancer à grands pas. Je me sentais en relation avec mes aïeules et avec le futur et j’éprouvais – contre toute attente – la profonde satisfaction de la perpétuation. »
La génétique fait place à la force de la généalogie féminine, le monde se perpétue par les femmes qui semblent porter sur leurs épaules et au bout de leur bras, l’amour de l’existence.
Une reverdie humaine d’une exceptionnelle beauté !
Jean Hegland, Dans la forêt, Gallmeister