My absolute darling est un récit d’une exceptionnelle violence, psychologique et physique. Gabriel Tallent explore les ravages de l’inceste dans les tréfonds de l’âme humaine.
Turtle, victime de la violence d’un père malade, cherche son amour et s’accroche à la vie avec ses tripes. Elle subit jour après jour les assauts de son père, tantôt affectifs, guidés par un amour excessif, tantôt froid, desctructeur et haineux. Rabaissée sans cesse, elle porte en elle le néant, pense-telle, le vide, l’échec. Elle tente, petit à petit de s’éloigner du joug paternel, tentant une fugue qui la ramènera chez elle, dans un cercle vicieux entre amour et haine. Elle tente toujours de mettre à distance sa propre intériorité, laissant des pans entiers de sa personnalité et de ses émotions tapies dans l’ombre pour échapper à la conscience trop douloureuse de sa situation :
« une sensibilité qu’elle a si longtemps mise en sourdine semble s’éveiller en elle, et elle la sent, l’accumulation de douleur, mais elle joue à marche/arrêt avec cette sensation, quand Turtle tente de l’observer, elle est lointaine et immobile, et quand elle suspend le cours de ses pensée, étendue là sur le sol, le regard rivé sur le plancher, sans réfléchir, elle la sent se rapprocher et l’envahir tout entière, le chagrin se rassasie dans le vide de son cerveau laissé sans surveillance, pareil à des ravenelles fleurissant dans une parcelle en friche. Ma tristesse a trouvé des recoins entiers d’elle-même dont elle ne soupçonnait pas l’existence. » (p.217)
Au milieu de la forêt, elle rencontre Jacob et Brett, deux adolescents typiques qui discourent sur les possibles et les futurs du monde. Ils ont, contrairement à elle, accès à un horizon vaste, duquel ils repoussent les limites grâce à leur imagination et leur liberté. Mais Turtle, elle, est emprisonnée dans sa vie comme dans son esprit, qui tourne en rond et ignore l’espoir pour ne pas souffrir. Son désir de survivre se révèlera néanmoins dans un éclat de conscience :
« Turtle pense, Appuie sur la détente. Elle n’imagine aucune autre voie. Elle pense, Appuie sur la détente. Mais si tu n’appuies pas, retourne dans le ruisseau, franchis à nouveau la porte, prends possession de ton esprit, car ton inaction est en train de te tuer. Elle reste assise à contempler la plage et elle pense, Je veux survivre à tout ça. Elle est surprise par la profondeur et la clarté de son désir. Sa gorge se serre, elle retire le fusil de sa bouche, des filets de salive accompagnent le mouvement, elle les essuie. Elle se lève, regarde les vagues, pénétrée par leur beauté. Son esprit tout entier lui paraît réceptif et brut. Elle éprouve une gratitude fulgurante et immense, un émerveillement spontané pour le monde entier. » (p.369)
Quand arrive la fin de ce roman, la jeune femme est en quête : Quelle rédemption possible ? Quelle résilience ?
Grâce à une cruelle finesse, Gabriel Tallent nous fait entrer dans l’horreur d’un monde que l’on ne soupçonne pas. Il montre avec agilité les sentiments antinomiques qui tiraillent cette jeune adolescente qui ne comprend que tardivement, n’ayant jamais connu autre chose, la relation plus que malsaine qui s’est tissée avec son père.
Un roman d’une rare noirceur, d'une splendeur sombre d'où la vie se hisse avec une force extraordinaire, dans un décor sauvage.